Poèmes disjoints

Inspiré des collages “La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas”, j’ai tenté de mettre en mots des images glanées. Ces poèmes naissent comme des fragments libres, où chaque carré visuel appelle une phrase, et chaque phrase fait surgir de nouvelles images. C’est un élan émancipateur, un mouvement d’aller-retour entre voir et écrire. Et c’est dans l’observation attentive que réside peut-être l’essence d’un acte de résistance face à l’hyper-saturation contemporaine.

Fragment N°7

Nos yeux sont happés par l’objectif de ces corps lancés à toute vitesse.
Dans ce flux, le mouvement clair et factuel est restitué sans faille et dans une objectivité totale, empêchant ainsi, dans son élan, toute tentative de troubler les contours.

Trop d’images se succèdent dans la précision mécanique et impartiale de l’optique pour en douter. Mais lorsque l’homme à la caméra, sans le vouloir, bascule, il emporte avec lui dans un mouvement circulaire, non seulement les coureurs, le stade et ses gradins, mais aussi la certitude de ce que nous pensions voir. L’image se renverse comme du linge emporté par la machine et lave nos yeux d’une vérité impeccable.

Lorsqu’il se relève, vacillant, des vérités nouvelles surgissent comme des sensations troubles et hallucinées : un poing levé cogne les nuages, des corps éclosent comme des bourgeons impatients de fleurir, un visage fond dans l’attente indécise de l’arbitrage, et là, dans un coin, demeure une main, bien nette, celle d’un corps à bout de souffle, cachant à ses propres yeux le triomphe de la vitesse.

Autour, vibre la masse informe de spectateurs, le stade entier n’est plus qu’un champ de fleurs, s’offrant comme un bouquet, seul lot de consolation.

Fragment N°8